Une quête atypique

Il rit silencieusement, prouvant une bonne fois pour toutes qu'il pouvait rire de tout, puisqu'il pouvait rire de l'argent.

« Tout d’abord, étant donné que je t’ai versé une avance de 30 pièces d’or, il me reste exactement 159 pièces à verser. »

Le fenghill n'avait pas frappé assez fort pour lui faire oublier ce détail. Elle aurait pu y aller plus fort la bestiole, un petit coup sur sa tête et il ne se serait peut-être pas souvenu de l'avance...

« Ensuite, chaque chose en son temps ! Quand tu auras réuni tes Buveurs d’Or nous devrons nous rendre à Hokksund, c’est dans cette ville que ce trouve le reste de l’argent. La ville est à une journée de marche d’ici ! Mais normalement tu le sais déjà. »

Il lui tendit son sac et elle le passa à son épaule. Tout en parlant elle vérifiait d'une main le contenu sans regarder, mais attentive à y sentir chacun des objets et chacune des pièces, cachés à différents endroits, qu'elle saviat devoir y être.

« Le lieu de rendez-vous avec les Buveurs d'Or est à quelques heures de marche, mais ce n'est pas la peine que j'aille les chercher. Jhonni - elle se tourna vers lui et adoucit ses traits quand il sursauta - tu sais où c'est ?
- Oui, Ordottir !
- C'est bien. Tu iras les prévenir de nous attendre dans la forêt, à coté de Hokksund. Tu diras à Bjok de me rejoindre à l'auberge au plus tôt. Je sais tu as du mal à marcher, mais fais vite. Tu le peux, je te fais confiance. »

Le jeune homme rougit de cette marque de confiance - bien qu'objectivement, elle ne pouvait pas confier la mission à quiconque d'autre. Voilà, il manquait de confiance en lui, c'était tout, et puis il était si mignon avec ses joues rosissantes... Ce constat l'ému un tout petit instant, puis fut repoussé bien loin à l'idée de la récompense. Elle se tourna vers Sverre, un grand sourire sur les lèvres.

« On ne peut pas vraiment arriver à une dizaine de brigands, c'est pas discret. On y va ? »

Elle n'aimait pas trop l'idée de s'aventurer en ville avec un homme en lequel, malgré tout, elle n'avait pas confiance - elle n'avait confiance en personne. Pas impossible que ce soit un piège pour la dénoncer à un Hauldr pas ravi d'avoir des brigands dans sa région, et ainsi éviter de payer. Mais elle n'était pas connue dans la région, et elle n'avait pas du tout envie de laisser Sverre aller chercher l'argent tout seul. Elle avait toute une longue, et certainement douloureuse, marche pour réfléchir à un plan de fuite.

Elle fouilla machinalement son sac pour vérifier que toutes ses affaires étaient présentes. Comme si j’allais la voler alors que je devais la payer !

« Le lieu de rendez-vous avec les Buveurs d'Or est à quelques heures de marche, mais ce n'est pas la peine que j'aille les chercher. Jhonni - elle se tourna vers lui et adoucit ses traits quand il sursauta - tu sais où c'est ?
- Oui, Ordottir !
- C'est bien. Tu iras les prévenir de nous attendre dans la forêt, à côté de Hokksund. Tu diras à Bjok de me rejoindre à l'auberge au plus tôt. Je sais tu as du mal à marcher, mais fais vite. Tu le peux, je te fais confiance. »

Cette chère Ara resta quelques instants à fixer le jeune Jhonni… Je ne pensais pas que le rêve allait si bien fonctionner…

« On ne peut pas vraiment arriver à une dizaine de brigands, c'est pas discret. On y va ? »

Elle ne semblait pas très enjouée de faire voyage en ma compagnie. Qu’importe ! Ce n’était pas dans mes plans de toute façon.

« Oui, nous allons rejoindre vos Buveurs d’Or ! Nous nous rendrons tous ensemble à Hokksund. Jhonni doit voir un chaman, et toi aussi ma chère Ara ! Et si nous nous faisons attaquer par des brigands, je préfère voyager avec des hommes valides plutôt qu’une écureuil toute recousue. »

Je ne lui laissai pas le temps de protester ou d’argumenter. Je chargeai mes affaires sur mon dos et me tournai vers Jhonni avec un grand sourire :

« C’est dans quelle direction l’ami ! »

Il était temps de quitter cette forêt, tout le monde avait besoin d’une chope d’hydromel et d’un bon lit. Hokksund était une ville de taille moyenne, mais suffisant grande pour avoir au moins un exemplaire de tous les bâtiments nécessaires à un voyageur.

Elle ne fut pas ravie par sa réponse.

« Oui, nous allons rejoindre vos Buveurs d’Or ! Nous nous rendrons tous ensemble à Hokksund. Jhonni doit voir un chaman, et toi aussi ma chère Ara ! Et si nous nous faisons attaquer par des brigands, je préfère voyager avec des hommes valides plutôt qu’une écureuil toute recousue. »

C'est sur qu'il devait beaucoup compter sur les Buveurs d'Or pour se protéger, lui, pauvre petit voyageur sans défense... Il ne lui laissa pas le temps de protester, et, prenant ses affaires, se tourna vers Jhonni:

« C’est dans quelle direction l’ami ! »

Jhonni, partagé entre la fierté de guider et l'attention que lui accordait une personne qui l'inquiétait au plus haut point, partit avec une résolution presque sans faille vers l'Est. Arahina poussa un long soupir fatigué.

« C'est... c'est pas par là. Du tout. »

Le brigand s'arrêta, penaud, et Arahina se mit en marche, les guidant. Pas vraiment la peine de protester, ils ne pouvaient pas se séparer avant d'avoir rejoint les autres, alors autant y aller tous ensemble... La marche était difficile, mais elle entendait l'or l'appeler et il n'y avait pas de meilleure motivation. L'idée de devoir annoncer la mort de Bjor aux Buveurs d'Or ternissait toutefois sa bonne humeur. Sa part, selon la coutume du groupe, serait utilisé pour payer une tournée. Ou vu la taille de la part cette fois, plusieurs tournées. Elle aurait le temps de méditer à toutes ces nouvelles informations pendant que les brigands décuvaient.

Ils marchèrent silencieusement plusieurs heures, allant d'un pas assez lent et entrecoupés de pause. Ils allaient leur falloir quelques temps pour s'en remettre. Ils arrivèrent enfin au point de ralliement, où ils trouvèrent les Buveurs d'Or rassemblés, discutant avec chaleur. A la surprise sur leur visage, elle devina que la plupart l'avaient déjà déclarée morte. Et à l'expression déçu de Kopp, ils avaient aussi pensé à son remplacement. Charmant. Elle fit semblant de ne rien voir, et déclara d'une voix forte et enthousiaste:

« J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle ! La mauvaise c'est que Bjor est mort, tué par un fenghill. »

Elle se garda de mentionner la responsabilité involontaire de Jhonni. De toute façon, ils savaient tous qu'il était avec lui et devaient parfaitement imaginer ce qu'il s'était passé, autant éviter de les irriter contre lui. Elle pouvait presque entendre le soulagement du jeune homme qui se tenait derrière elle comme un bouclier. Il allait vraiment falloir qu'elle détermine comment elle allait le rendre moins dangereux, plus qu'inutile, ce garçon était un poids pour le groupe. Le mécontentement commença à passer dans les rangs et elle reprit la parole pour l'entraver:

« La bonne nouvelle, c'est qu'il - elle indiqua Sverre d'en geste de la tête - a pu rencontrer les Recruteurs et que notre récompense nous attend à Hokksud ! Une montagne de pièces d'or qui nous tendent leurs bras ! »

L'avantage des montagnes, c'est que c'est très imprécis. Si Sverre avait la décence de se taire, et Jhonni, à qui elle venait d'éviter un sale quart d'heure, l'aurait, elle arriverait peut-être à escamoter l'acompte du partage. Les mathématiques n'étaient pas le point fort des Buveurs d'Or qui avaient une éducation très limitée, et s'ils la voyaient leur donner à chacun une bourse égale, ils la videraient sur le comptoir plutôt que la compter. Et le lendemain matin, ne saurait plus combien ils avaient dépensé. Elle faisait un beau geste, c'était triste un tel gâchis...
Ils se hâtèrent de rassembler leurs affaires, et toute velléité de sédition s'envola à la perspective d'un tel butin. Ils se mirent en marche vers Hokksund, Arahina les menant, quelques mètres devant eux, perdue dans ses pensées, tandis qu'ils se réjouissaient d'avance.

Mon nouvel ami Jhonni resta quelque instant figé sur place, bégaillant quelques propos contradictoires. Je pense que ce jeune homme m’amusera toujours ! Assez rapidement, il retrouva ses esprits et parti fièrement vers l’Est ! Tel un conquérant qui marchait de victoire en victoire !... Ou un aveugle à la mémoire limitée :
« C'est... c'est pas par là. Du tout. » déclara simplement Arahina.

Nous prirent la suite de la cheffe des Buveurs d’Or, qui les guidait d’un pas décidé. Jhonni, lui, avançait un peu dépité. Je lui fis une tape de consolation sur l’épaule – ce qui eut pour résultat de le faire sursauter et s’éloigner de moi.
La marche jusqu’au point de ralliement fut longue et difficile. Pas que le chemin était des plus ardu, ni que le temps se jouait des voyageurs, mais plutôt que ses deux compagnons ne s’étaient pas encore bien remis de leurs blessures. Il fallut faire plusieurs pauses pour continuer à avancer. Bien que ni cette chère Ara, ni Jhonni, s’exprimait, le silence tombait petit à petit. On s’éloignant des lieux du combat contre le fenghill, les oiseaux se mettaient à nouveau à chanter, les lapins à nouveau à gambader. On pouvait entendre le bruit des feuilles, le bruit des bottes et le souffle rauque de mes compagnons. J’écoutais tous ces sons en rassemblant toutes les informations que j’avais à propos des Buveurs d’Or.

Nous finîmes par atteindre le fameux point de ralliement, où les Buveurs d’Or discutaient dans une clairière. Ils semblèrent très surpris de nous voir déboucher de la forêt. Ils devaient nous penser mort… Quel manque de confiance dans les capacités de cette chère Ara !... Et dans les miennes au passage.

« J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle ! La mauvaise c'est que Bjor est mort, tué par un fenghill. »

Le silence des hommes qui avait suivi notre arrivée se brisa immédiatement. Ils discutaient entre eux, commençaient à rouspéter, à râler contre cette quête idiote. Il serait si facile de les manipuler ! Le moindre bon mot pouvait les mettre dans tous leurs états

« La bonne nouvelle, c'est qu'il - elle m’indiqua d'en geste de la tête - a pu rencontrer les Recruteurs et que notre récompense nous attend à Hokksud ! Une montagne de pièces d'or qui nous tendent leurs bras ! »

Les protestations se stoppèrent nettes… Pour se transformer en grands sourires et yeux brillants. Tous se voyaient déjà couvert d’or, en train de boire à la taverne avec une femme dans chaque bras. Ils rassemblèrent rapidement leurs affaires, et emboitèrent le pas de leur cheffe sans attendre. L’or les attendait à Hokksund, c’était suffisant pour eux !
Si cette chère Ara n’avait pas des pièces dans les yeux, elle m’aurait sûrement vu sourire à l’annonce de la montage de pièces d’or. Après tout, elle attendait de l’or d’une personne qui considérait qu’un renseignement, une information, une histoire valait bien plus qu’une pièce d’or.

J’emboîtai le pas des Buveurs d’Or, et commençai ma quête de pièces d’or.

L'ardeur des Buveurs d'Or était un peu trop grande et Arahina du les rappeler à l'odre plusieurs fois pour qu'ils ne partent pas à toute vitesse et laisse les deux boiteux sur le carreau. Elle leur avait donné un peu trop de motivation, et sa jambe le regrettait beaucoup. Elle avait elle-même hâte de trouver un chaman pour la rafistoler. Concentrée pour tenir le rythme et ne pas tomber à cause de l'équilibre instable donné par ses blessures, elle ne faisait que vaguement attention à ce que faisait les autres, tant qu'ils la suivaient. Elle remarqua tout de même que Sverre parlait tour à tour à chacun de ses hommes, ce qui ne lui plaisait que moyennement. Qu'est-ce qu'il pouvait bien leur raconter ? Elle avait du mal à voir comment ça pouvait finir bien pour elle. Mais d'un autre coté, même s'il leur disaient la vérité, ses hommes ne croiraient pas que l'adolescente crasseuse et décharnée qu'ils avaient voulu dépouiller quatre ans auparavant était la fille cachée d'un héritier de Jarl. Même ceux qui les avaient rejoint depuis et ne l'avait vu que sous les traits, certes plus valorisants, de cheffe de brigands, ne pourraient pas admettre une chose pareille. Et Sverre avait un comportement trop étrange pour être crédible. C'était du moins ce qu'elle se disait pour se rassurer.
La route fut longue, mais ils finirent par arriver à Hokksund. Comme à leur habitude, ils se faisaient passer pour un groupe de kriegers en route vers le Malroyaume pour partir en rand. Cela justifiait à peu près leur nombre et leur armement, bien que dans les détails de nombreuses choses clochaient. Mais la plupart des aubergistes ne posaient pas trop de questions tant qu'ils consommaient, et à présent que les Buveurs avaient leur récompense dans le tête, l'idée de d'attendre loin d'une source de bière leur semblait impossible. Comme ils étaient arrivé depuis peu dans la région, ils ne seraient pas trop soupçonnés.
A l'entrée du village elle laissa les hommes partir vers l'auberge, envoya Jhonni à la recherche d'un chaman, et se tourna vers Sverre:

« Alors votre or, vous allez le chercher où ? »

Ce voyage fut le plus plaisant de cette quête ! Je discutai avec les Buveurs d’Or durant tout le trajet.
Le premier qui consentit de me parler fut Fyllt, dont les joues prirent une teinte vermeille sous mes piques. Il finit par avouer qu’il n’avait jamais partagé la couche d’une femme. Ceci fit rire son compagnon – un dénommé Afengi – qui marchait à côté de nous, qui m’expliqua qu’il préférait la boisson aux dames. Quelques autres brigands ce joignirent à la discussion, parlant de ce qu’il pourrait faire avec tout cet or. Ils ne pensaient qu’à la consommation. Ils voyaient simplement les choses. J’ai de l’or. J’achète. Je consomme. Je cherche de l’or. Avec cette idée, on passe plus de temps à chercher qu’à profiter ! Je laissai les gars entre eux pour discuter avec la seule autre femme du groupe (à part cette chère Ara !), Elda, qui se révéla être une amatrice de champignons – aussi bien pour la cuisine que pour les voyages vers un autre monde. Je parlai ainsi avec tous les brigands. D’Uppkost qui avait une femme et deux enfants, à Kopp, qui fut le seul à grommeler – finissant toutefois par me lâcher ses envies de promotion.

Arrivée à Hokksund, les Buveurs d’Or se dispersèrent après que cette chère Ara leur ait rappelé qu’ils étaient un groupe de kriegers en route vers le Malroyaume. Je rappelai rapidement le nom du groupe de brigands de la région à Kopp lorsqu’il passa près de moi. Je fis un clin d’œil entendu à Fyllt. Glissa à nouveau à Elda et Agenfi, le nom des trois tavernes à visiter – et le mot de passe à utiliser. Et je n’oubliai par de donner à Uppkost la petite carte dont je lui avais parlé. Je regardai tout ce petit monde s’en aller joyeusement en ville.

Je me retrouvai ainsi seul avec cette chère Ara, qui se tourna vers moi :
« Alors votre or, vous allez le chercher où ? »

Je souris.
« Je viens déjà de le distribuer ma chère Ara. »

Les rayons du soleil déclinant, le bruit de la ville, les oiseaux dans les arbres, tout ceci était déjà une récompense ! Mais ce n’était pas cela que j’avais offert.
« Kopp commençait à nourrir l’ambition de devenir chef et de te poignarder, je lui ai donc conseillé de faire ça sur un autre leader de brigands. Tu le reverras plus, mais lui sera heureux dans son nouveau rôle. A l’auberge du vieux chêne, y’a une fille facile pour Fyllt, je l’ai briefé sur ce qu’il devait dire. Elda va pouvoir consommer des champignons dont elle ne connait même pas le nom quand vous passerez à Stavanger. Agenfi a reçu quelques conseils pour avoir des réductions sur la bière. Quant à Uppkost, il va pouvoir offrir à sa famille une belle maison, abandonnée depuis quelques années. Et ce cher Jhonni a été récompensé au-delà de ses espérances ! »

Je me tus et regardai cette chère Ara, un immense sourire sur les lèvres.

Il avait un grand sourire pour quelqu'un qui allait perdre une grosse somme. Ce n'était pas suffisant pour altérer la bonne humeur d'Arahina. Les Buveurs d'Or étaient partis avec tous un sourire aux lèvres, et leur joie se rajoutait à la sienne. Elle était prête à partager tous les éclats de rire injustifiés de Sverre.

« Je viens déjà de le distribuer ma chère Ara. »

Pardon ? Il s'était permis de faire le partage lui-même ? Non, elle aurait remarqué s'il avait donné des pièces aux brigands, et ces derniers étaient bien incapables de cacher leurs gains.

« Kopp commençait à nourrir l’ambition de devenir chef et de te poignarder, je lui ai donc conseillé de faire ça sur un autre leader de brigands. Tu le reverras plus, mais lui sera heureux dans son nouveau rôle. A l’auberge du vieux chêne, y’a une fille facile pour Fyllt, je l’ai briefé sur ce qu’il devait dire. Elda va pouvoir consommer des champignons dont elle ne connait même pas le nom quand vous passerez à Stavanger. Agenfi a reçu quelques conseils pour avoir des réductions sur la bière. Quant à Uppkost, il va pouvoir offrir à sa famille une belle maison, abandonnée depuis quelques années. Et ce cher Jhonni a été récompensé au-delà de ses espérances ! »

Et il souriait, tout heureux dans son rôle de parrain des Buveurs d'Or, incroyablement insupportable. Cet homme était incompréhensible, imprévisible, et très, très, très énervant. Elle resta de longues secondes à le regarder avec un sourire crispé, à enregistrer les informations qu'il lui donnait et dont elle ne voulait pas tirer de conclusion. Elle s'était fait rouler. Et ses Buveurs d'Or étaient bien trop contents de leur rémunération pour protester. Elle se retrouvait seule et idiote devant son sourire, avec deux blessures, des cauchemars pour des mois à venir et un de ses Buveurs connaissant sa lycanthropie. Ses dernières paroles lui revinrent en tête. Quelle avait été la récompense de Jhonni ? Ses soins pour sa cheville ? Elle serait en bien meilleure état s'il n'avait pas du fuir un fenghill. Son secret ? C'était plus une malédiction qu'autre chose, elle n'allait pas le lâcher des yeux à présent, et il ne devait qu'à une surprenante clémence d'être encore vivant, et dans les Buveurs d'Or. D'où lui venait cette clémence d'ailleurs ? Ces derniers temps, elle était beaucoup plus accommodante avec le jeune homme, elle le trouvait trop adorable pour le traiter comme le Buveur d'Or incapable qu'objectivement il était. Sverre était-il pour quelque chose dans ce changement ? Elle se souvenait du sol tanguant lors du combat, et de l'aisance de guerrier qui n'en avait pas l'air affecté. Savait-il jouer avec les perceptions ? Ou avait-il changé Jhonni ? Elle laissa la question en suspend, mais se promit d'observer de près le jeune homme pour comprendre ce qu'il se passait.
Pour le moment, il s'agissait de tirer ce qu'elle pouvait de la situation.

« Et moi ? Je suppose que je dois me contenter des informations et de l'avance ? Même si tu as l'air de considérer tes petits renseignements comme un paiement, mon compte n'est pas bon. Les informations étaient une prime, et l'argent, un acompte, pas le solde. Je sais que tu peux très bien partir immédiatement et que je ne peux pas crier au voleur. Mais si tu te fichais complètement de régler tes comptes, tu serais parti quand Jhonni et moi dormions. Je ne te demanderai qu'une seule chose. Même pas de l'or. Mais un renseignement, vu que ça a l'air d'être ta monnaie préférée. Qu'est-ce que sait Niklas sur moi, et s'il en a quelles sont ses intentions quant à moi ? Je ne te demande pas de trahir ses secrets, je me doute bien que tu ne le feras pas. Juste de me dire ce qui me concerne strictement moi. »

Elle attendit sa réponse, le visage neutre, dans l'attente. Qu'il interprète comme il voulait les intentions de sa question. Elle espérait simplement qu'il réponde que Niklas n'en savait rien, ou qu'il l'avait appris que récemment et s'en fichait. Qu'elle puisse refermer cette page qu'elle n'avait pas du tout envie de lire, et qu'elle puisse cesser de regarder sans cesse derrière son dos, en se demandant les intentions, bonnes ou mauvaises, de quelqu'un de beaucoup trop puissant pour qu'elle s'en fasse son ennemi personnel. Elle ne demandait rien d'autre que son ignorance. Pour une fois, elle n'était pas curieuse du tout.

Cette chère Ara avait un sourire crispé. Elle semblait réfléchir à toute vitesse, et avoir une furieuse envie de me foutre un coup de poing – ou de poignard, au choix. Je savais que la situation ne lui plaisait pas. Elle ne voyait pas tout l’intérêt d’être rémunéré par un renseignement. Les Buveurs d’Or gagneront bien plus que quelques pièces d’or avec ces informations.

« Et moi ? Je suppose que je dois me contenter des informations et de l'avance ? Même si tu as l'air de considérer tes petits renseignements comme un paiement, mon compte n'est pas bon. Les informations étaient une prime, et l'argent, un acompte, pas le solde. Je sais que tu peux très bien partir immédiatement et que je ne peux pas crier au voleur. Mais si tu te fichais complètement de régler tes comptes, tu serais parti quand Jhonni et moi dormions. Je ne te demanderai qu'une seule chose. Même pas de l'or. Mais un renseignement, vu que ça a l'air d'être ta monnaie préférée. Qu'est-ce que sait Niklas sur moi, et s'il en a quelles sont ses intentions quant à moi ? Je ne te demande pas de trahir ses secrets, je me doute bien que tu ne le feras pas. Juste de me dire ce qui me concerne strictement moi. »

Elle me regardait le plus sereinement possible, mais je sentais bien que sa question la taraudait depuis longtemps. Elle devait craindre Niklas, avoir peur de ce dont il serait capable. Elle n’avait pas tort. Je répondis aussi simplement et clairement à sa question que possible :
« Niklas ne sait absolument rien de toi… Pour le moment. Mais si un jour il apprenait ton existence, il saura ton ascendance. Si j’ai pu remonter jusqu’à ton père, ne doute pas que Niklas y arrivera lui aussi s’il essaye. »

Je fis une pause et réfléchis à comment réagirait Niklas à cette découverte. Une chose était sûr, il ne la laisserait pas tranquille, il ne se contenterait pas de l’ignorer. Je continuai d’un ton grave :
« Et si ton père venait à te découvrir, il ne te laissera pas à ta simple vie de cheffe des Buveurs d’Or. Si tu tiens à cette place, évite mon frère le plus possible. »

Je ne savais pas trop comment elle allait considérer ces informations, mais je ne doutais pas qu’elle choisira d’éviter Niklas à tout prix.

Il sembla sincère quand il lui répondit, et parla clairement et sans jeu, ce qui apaisa légèrement son irritation d'avoir été flouée.

« Niklas ne sait absolument rien de toi… Pour le moment. Mais si un jour il apprenait ton existence, il saura ton ascendance. Si j’ai pu remonter jusqu’à ton père, ne doute pas que Niklas y arrivera lui aussi s’il essaye. »

Elle contint un soupir de soulagement et ses épaules se relâchèrent doucement. Pour le moment, tout allait bien. Enfin une bonne nouvelle.

« Et si ton père venait à te découvrir, il ne te laissera pas à ta simple vie de cheffe des Buveurs d’Or. Si tu tiens à cette place, évite mon frère le plus possible. »

C'était ce qu'elle avait supposé, et il n'apportait pas grand chose de nouveau, mais l'entendre exprimé aussi rationnellement et simplement la rassura. Éviter de se faire remarquer par Niklas. C'était ce qu'elle avait fait jusque là, mais elle allait s'y appliquer plus attentivement dans les temps à venir. Et déjà, en quittant le Suðrið, bien trop mal fréquenté. Dès que ses blessures seraient remises, les Buveurs d'Or allaient trouver d'autres forêts à embusquer, d'autres voyageurs à rançonner. Une petite migration plus au Nord ferait du bien à tout le monde, elle avait décidé. L'idée de la facilité avec laquelle Sverre venait de débarrasser sa svaedi d'une bande de brigands la fit presque sourire. Le soulagement avait effacé sa colère, et, même si elle était frustrée de ne pas avoir l'or, il avait payé son nouveau prix. Et au fond, elle était quelque peu admirative de la façon par laquelle il avait pu éviter de payer, même si elle aurait préféré le voir à l’œuvre sur quelqu'un d'autre qu'elle.
Elle lui tendit la main avec un sourire sincère.

« Même si je ne suis pas sure d'apprécier ta façon de tenir des marchés... On est quitte. Au revoir, mon oncle. »

Elle ne pu pas s'empêcher de laisser un peu d'ironie se glisser dans le dernier mot. Elle ne pouvait s'empêcher de trouver improbable d'avoir pour oncle un homme aussi étrange et qui ne semblait pas beaucoup plus vieux qu'elle. Malgré leurs quelques traits communs, un abysse les séparait, et elle en avait parfaitement conscience. Même si elle attendrait un couteau dans le dos dès le moment où elle se retournerait, pendant un instant sincère, elle lui pardonnait son entourloupe et ne lui voulait aucun mal. Selon toute probabilité, et c'était mieux pour sa survie, ils ne se reverraient jamais, alors elle le regarda longuement, gravant dans sa mémoire les traits du seul membre de sa famille paternelle qu'elle connaissait. Elle n'avait à présent plus qu'à partir se faire soigner par un chaman, et passer de longues heures à essayer de démêler toutes les informations des derniers jours. Cela avait été une quête étrange et mouvementée.

Cette chère Ara resta quelques instants pensive. Elle devait considérer les informations que je lui avais passées. Rien ne devrait être nouveau pour elle, seulement une mise en garde.
Elle me tendit la main, et me regarda avec un sourire dont je n’avais pas encore eu le droit, un sourire sincère :
« Même si je ne suis pas sure d'apprécier ta façon de tenir des marchés... On est quitte. Au revoir, mon oncle. »

Le « oncle » sonnait encore ironique – et tant mieux ! Ca faisait beaucoup trop vieux… Mais elle semblait avoir fini par accepter mon existence. Nous nous ne reverrions pas, c’était sûr – du moins j’espérais pour elle !, mais qu’importe ! Ma famille était déjà assez grande.
Je regardai la main qu’elle me tendait déjà depuis quelques instants, je mis ma main à la poche et j’en sortis un torque en bronze avec une tête de loup et une tête de serpent. Je lui enfilai au poignet, puis déclarai d’un air satisfait et rieur :
« La prochaine fois que tu fais de la revente avec l’Æðstur, montre ce bijou, ça devrait te faire un bon prix. Et si on te demande comment tu l’as eu, t’as qu’à dire qu’ils ont qu’à poser la question à Gefjun ! »

Je remis mes affaires sur mon dos, réajustai les sangles de mon bouclier ainsi que le fourreau de mon épée.
« Sur ce, ma chère Ara, adieux ! » déclarai-je d’un air triomphale en remettant mon baluchon sur mon dos.

Je me retournai et repartis en direction de la forêt. A quoi bon dormir à une auberge qui s’appelle vieux chênes quand on peut se reposer sous les ramures d’un vrai chêne !